Introduction “Lire et relire autrement le Dictionnaire de ROUSSET” ( cf. ArchéoJuraSites - Bulletin N°1 - Nouvelle série - été 2007 - pp. 22-25)
Extraits des “Notices historiques” du Rousset groupés par zones géographiques
Annexe - CHAMPAGNOLE - Par Michel Chevalier et Pierre Charpentier - Cahiers de Géographie de Besançon - Numéro 8 (1960)
André Berthier a formulé, au début des années 60, la double hypothèse de la localisation de la bataille d'Alesia dans la zone de confluence des rivières Ain, Lemme et Saine et de l'oppidum de la Chaux-des-Crotenay et de celle de l'embuscade préliminaire de cavalerie dans la plaine de l'Ain entre Pont-du-Navoy et Crotenay. Les travaux de reconnaissance de terrain et les fouilles qui ont conduit à mettre au jour un certain nombre de témoignages archéologiques intéressants et d'indices troublants aussi, mais qui ne prouvent pas pour autant, à ce jour, la justesse de l'hypothèse Alesia. La question qui se pose aujourd'hui (toute polémique écartée) est de pouvoir interpréter ces acquis de plus de 40 ans de recherches peu facilitées par l'agressivité ambiante autour des noms Berthier et Alesia. Il s'agit notamment de mettre en relation ces acquis et ces questionnements avec ce que des érudits plus anciens, ayant travaillé sur le même territoire, ont pu découvrir et affirmer, de mettre tous ces éléments de connaissance en perspective, de s'interroger sur le sens global à donner à un ensemble de témoignages ou indices qui ne peuvent pas laisser indifférents et surtout qui doivent être plus que jamais rassemblés, rapprochés, capitalisés, questionnés. À l'heure où les techniques numériques permettent de mieux faire circuler l'information et d'en débattre ouvertement, il serait regrettable de ne pas engager une réflexion (projet) collective nouvelle, dynamique, basée sur l'exploitation de tout ce dont on peut aujourd'hui disposer, en reprenant et en capitalisant les travaux, écrits, découvertes accumulés sur une période de près de deux siècles.
Un travail de consolidation de mémoire
Ce travail de consolidation de mémoire est plus que jamais nécessaire (et en même temps plus facile à assurer qu'avant l'ère du document numérique et d'Internet). Si l'on pense à la richesse de toutes les publications des sociétés savantes (par exemple, celles de la Société d'Emulation du Jura ou encore celles des Annales Littéraires de l'Université de Besançon), on ne peut que militer pour un projet collectif de capitalisation des savoirs que des bailleurs de fonds publics (et pourquoi pas privés) devraient soutenir. À titre d'illustration de ce propos, et pour prouver le mouvement en marchant, on s'est intéressé à l'extraordinaire Dictionnaire de Rousset, “Dictionnaire géographique, historique et statistique des communes de la Franche-Comté et des hameaux qui en dépendent - Département du Jura”, publié en 1855 par A. ROUSSET (6 tomes...quelle somme de connaissances!...). La numérisation et l'ocerisation (reconnaissance du sens des signes numérisés) des parties “Notices historiques” pour les villages de la zone concernée n'ont pris que quelques heures de travail, mais ont permis de mettre en rapport des notices, de rapprocher les données relatives à tel ou tel ensemble de villages (axes de communication, zones géographiques homogènes…).
Que découvre-t-on en faisant ce travail?
Tout d'abord, une réelle surprise : dès le milieu du 19ème siècle (et même avant car Rousset exploite les travaux de Désiré Monnier et d'autres érudits du début du 19ème siècle), et surtout bien avant l'énoncé de l'hypothèse Berthier en 1963-64, on mentionne des accumulations de témoignages archéologiques troublants qui ne peuvent pas laisser accepter l'affirmation selon laquelle la zone en question est "archéologiquement nulle”. Il est intéressant, à cet égard, de lire la notice de Rousset sur Bief-des-Maisons (voir plus bas). En d'autres termes, beaucoup de choses ont été découvertes, des objets recueillis, déposés dans les musées (notamment celui de Lons-le-Saunier) : peut-on aujourd'hui en rendre compte? Où sont passées ces “trouvailles”? Comment, où et quand en a-t-on rendu compte? Dispose-t-on aujourd'hui d'un dispositif moderne, efficace, pour les exploiter? Intéressant aussi de lire la notice historique sur Syam, qui évoque, bien avant Berthier, des murs ou installations, de nature militaire, très anciens. Qu'a-t-on fait de cette constatation?
La mise en relation numérique des données
Une autre découverte vient de la mise en relation (numérique) des données ou informations. Le Dictionnaire de Rousset énumère ses rubriques selon un ordre alphabétique des villes et villages. Il n'est donc pas aisé de s'y retrouver pour une zone géographique donnée (sauf à lire les 6 tomes…). Ce qui frappe, dans le rapprochement des données selon des logiques de zonage géographique, c'est qu'il s'est vraiment passé des choses intéressantes, à certaines époques et à certains endroits, sans qu'on soit en mesure aujourd'hui d'apporter des réponses pertinentes aux questions posées :
* multiples zones d'influence celtique (pied de la Haute-Joux, lacs et val de Chambly-Hérisson…) ;
* bataille(s) de la Combe d'Ain (qu'en dit-on aujourd'hui?) ;
* rôle et importance de l'aire Placentia – Mont-Rivel, d'influence romaine et gallo-romaine ;
* etc.
Les textes ci-après, repris du Dictionnaire de Rousset, doivent être lus et relus, avec le souci d'en dégager des pistes pour la recherche d'aujourd'hui. En tout cas, ils posent plusieurs problèmes du point de vue de la connaissance collective des travaux et découvertes du passé :
* comment capitalise-t-on les acquis de chaque période d'investigation?
* où et comment peut-on retrouver trace de ce qui a été découvert (les musées de Lons-le-Saunier et Besançon – et d'autres) semblent avoir été dépositaires des productions des fouilles du 19ème siècle: qu'en a-t-on fait, comment les a-t-on valorisées?
* comment peut-on exploiter aujourd'hui les travaux des érudits du 19ème siècle (Désiré Monnier, Abel Girardot, Edouard Clerc, Jules Le Mire, Toubin, Etienne, Rousset…)?
* quelle utilisation moderne, avancée, collective, peut-on faire des publications de la Société d'Emulation du Jura, des Annales Littéraires de l'Université de Besançon, des Catalogues des Collections Archéologiques du Musée de Lons-le-Saunier, etc.?
Une aire d’intérêt assez large
Les textes présentés ci-dessous sont relatifs à une aire assez large, ayant pour centre le point de convergence des rivières Ain, Lemme et Saine. Les extraits des Notices du Dictionnaire de Rousset ont été sélectionnés en privilégiant :
* d'une part une logique de cohérence géographico-historique selon des axes naturels de circulation-développement, sur une zone de 25 km x 25 km, des Moidons au Grandvaud en passant par la Combe d'Ain, le Val de Mièges et la vallée de la Saine ;
* d'autre part une limitation dans le temps aux seules périodes proto- et pré-préhistoriques et du moyen-âge.
On observera aisément que les notices sont abondantes en enseignements pour les parties Nord et Oues de la zone, mais par contre, peu de mentions intéressantes relatives à cette période sont données par Rousset pour le Grandvaux et la zone Sud-Est jouxtant l'oppidum de Chaux-des-Crotenay.
Il est évident enfin, qu'on ne porte pas de jugements sur les écrits de Rousset (qui souvent reprennent des apports de ses prédécesseurs ou contemporains, notamment Désiré Monnier). Ils restent à être critiqués.
On a trouvé à diverses époques, sur les hauteurs qui dominent Poligny, les témoignages de l'existence de ce village sous les périodes celtique et romaine. On rencontre à chaque instant des monnaies gauloises en bronze et en argent, jusque sur le pic de Grimont. Un particulier de Chaussenans, village attenant à celui de Chamole, démolissant un vieux mur, y trouva, en 1801, un pot de terre renfermant 180 petites médailles gauloises en potain. Chamole, Chamoal, était traversé par deux anciens chemins tirant, l'un à Arbois et l'autre à Pontarlier et en Suisse. Quelques dénominations locales semblent rappeler des souvenirs d'un passé loin de nous. En Beauregard, au Châtelet, au champ Diot (champ du deuil ), les Lites, sont des noms qui se rattachent tous la période celtique ou romaine. Le mot lites, d'origine grecque, signifie, ou des pierres sacrées ou les prières, Déesses, filles de Jupiter.
La table de Peutinger et les divers itinéraires anciens, mentionnent dans la Gaule plusieurs lieux du nom de Mediolanum, tels que Mediolanum Santonum, aujourd'hui Saintes, où l'on a découvert les ruines de plusieurs temples, d'un cirque, de thermes, de naumachies, d'hypogées et d'un capitole; Mediolanum Aulercorum, Evreux; Mediolanum, Moyant, dans la seconde Germanie; Mediolanum, Château-Meulant, au territoire des Bituriges; enfin, un Mediolanum dans le territoire des Ségusiens, dont le savant d'Anville a fixé à peu près la véritable position près de Meys, dans les montagnes du Lyonnais. Il y avait aussi deux Mediolanum dans la Grande-Bretagne, placés au centre du territoire des Ordovices et des Cornaviens, peuples de même origine que ceux d'une partie de la Gaule; et un Mediolanum, aujourd'hui Milan, dans la Haute-Italie. Outre ces Mediolana, on trouve certains lieux qui semblent conserver dans leurs dénominations actuelles quelques restes de ce nom, et qui le portent même dans les textes latins des titres du moyen-âge, tels que Malain, Mediolanum chez les Lingons, Molain, près de Vervins, Malamourt, près de Verdun-sur-Meuse. M. Jolibois, curé de Trévoux, dans une savante dissertation, publiée dans les mémoires de l'académie de Dijon, émet l'opinion que chaque Mediolanum, mot dérivé de Mylan, qui en langue celtique signifie Champ du Milieu, était le lieu des réunions annuelles d'une confédération gauloise. Ainsi, selon cet auteur, le Mediolanum des environs de Poligny aurait servi aux réunions d'un peuple particulier de la Séquanie, dont le nom s'est perdu; les Séquanes ayant dû comprendre, comme les Eduens et les Lingons, plusieurs petits peuples qui avaient leur administration particulière et leur confédération générale, comme les Suisses de nos temps modernes. César dit : « les Gaulois se réunissaient chaque année, à une époque fixe, sur le territoire des Carnutes, qui est considéré comme le milieu de la Gaule, dans un lieu que leur religion leur fait considérer comme sacré. Là se jugent les différends des peuples et des particuliers, là se formulent en commun les décrets et les ordonnances qui tenaient lieu de loi à la nation entière. Il est à présumer, ajoute M. Jolibois, que chaque peuple en particulier suivait cet usage général, et que chaque année, à une époque déterminée, il se réunissait dans le centre de son territoire, pour juger les différends et régler tout ce qui concernait les intérêts de la communauté. Il parait même que les Romains, pour adoucir chez les Gaulois le joug de la servitude, permirent à chaque peuple de continuer à tenir ces assemblées annuelles, et se contentèrent de restreindre les matières des délibérations. Tous les citoyens valides étaient tenus de comparaîtreà ces assemblées et d'y assister armés. Le Mediolanum n'était pas une ville, mais une rase campagne, une place où l'on campait sous des tentes. Le plus souvent, des foires s'établissaient pour les besoins de ces nombreuses réunions d'hommes. En général, plusieurs voies aboutissaient à ces points centraux. Tout ce que nous venons de dire peut s'appliquer parfaitement à notre Molain. La forêt de Moydon, sylva Maydunensis, proche de ce village, renferme encore plusieurs monuments druidiques. Le Champ Feu qui n'en est pas éloigné, et dans lequel on a découvert une quinzaine de pièces de monnaies gauloises, servait de lieu d'assemblée pour les Druides et les Eubages, Le Champ du Feu ou Hochfeld, dans les Vosges, avait la même destination. Dans le champ de la Grosse Pierre, était un menhir qui, sous les Romains, devint une borne miliaire, et dont l'enlèvement est de date toute récente. Plusieurs voies antiques traversaient le territoire. L'une, sous le nom de Vie Saunier, venait du Fied et tirait à Salins. Une autre venant du Pont-du-Navoy, appelée la Vie Blanche, passait par Besain, et aboutissait sur la précédente à Molain même. Une troisième se dirigeait de Poligny à Champagnole. La tradition conserve le souvenir d'un combat sanglant qui se serait livré dans l'antiquité, au Champ de Bataille, mais il n'est pas possible d'en assigner la date.
Lorsque les Romains pénétrèrent dans la Séquanie et s'avancèrent dans la direction de l'est, ils rencontrèrent des bois de plus en plus épais, de plus en plus étendus. A peine eurent-ils franchi les monts de Poligny, qu'ils se trouvèrent au milieu d'immenses forêts se prolongeant presque sans interruption jusqu'au Randenberg, près de la ville actuelle de Chaffouse, vers le territoire des Rauraci. Les forêts de Moidon, sylva meduana, de la Faye, étendaient leurs ombrages tout à l'entour du Mont-Rond. Peuplées surtout de chênes et de hêtres, les habitants de la contrée y entretenaient une multitude innombrable de porcs, dont la chair salée s'exportait depuis Salins dans toutes les parties de la Gaule, en Italie et en Grèce. L'imagination populaire, amie du merveilleux et gardienne des anciennes croyances druidiques, a fait de ces bois le théâtre de mille aventures. Les paysans croyaient entendre le bruit du cor et de la meute du chasseur nocturne connu sous le nom de prince Belin. Puis tout à coup ils voyaient tomber morts à terre, des sangliers, des daims, des cerfs frappés par son invisible épieu. Une légende semblable avait lieu dans la forêt des Ardennes. Les fées aimaient à séjourner dans les tours du château de Montrond. Le brave Dole y rencontra, dit-on, plus d'une fois Mélusine sous la forme d'un vouivre. S'étant avancé un jour pour s'emparer de son trésor, il fut poursuivi par ce serpent de feu jusqu'au has de la colline et ne fut délivré que par le secours de Notre-Dame, à qui sa reconnaissance érigea bientôt un monument. On a observé, dans les forêts de Moidon et de la Faye, des tumulus et des tombelles gauloises, surtout dans les lieux dits au Tertre, à la Motte et au Champ de la Mort. Des chemins très anciens, et probablement d'origine celtique, sillonnaient le territoire pour se diriger sur Poligny, Grozon et Salins. L'un d'eux, appelé la vie Blanche ou le chemin des Allemands, traversait la forêt de Moidon. Un autre est appelé la vie Etroite.
Sur la rive droite de l'Ain, on aperçoit de loin, au sommet d'un rocher en forme de pyramide triangulaire tronquée, les ruines d'un manoir gothique de l'aspect le plus pittoresque. C'est le château de Montrivel. Presque à ses pieds et sous la protection de ses antiques murailles, la ville de Champagnole est assise sur un plateau escarpé, le long de la rivière, et s'y déploie gracieusement. Du haut de la montagne qui la domine, le regard embrasse un immense et magnifique horizon. La fondation de Champagnole remonte à une époque très ancienne, mais on en ignore la date. Tout prouve, du reste, qu'elle est antérieure à la domination romaine. Les croyances et les superstitions populaires sont encore vivaces dans les villages environnants. La vouivre, ce serpent ailé au front duquel brille une escarboucle d'un prix inestimable, venait chaque jour se désaltérer à la source du ruisseau qui s'échappe en murmurant du flanc méridional de la côte de Montrivel et a laissé son nom à cette fontaine. Une pierre druidique existe sur la rive droite du chemin qui conduit à Syam, dans le terrain appelé le Champ-Sarrasin. On sait que dans le langage du peuple, le mot de sarrasin sert généralement à désigner les monuments anciens, de quelque époque qu'ils soient. Dans un terrain en face, dit Champ des Bancs, on remarque une ligne de grosses pierres en forme de bancs, ce qui annonce que c'était un lieu de rassemblement probablement religieux. Une partie du territoire, dont le nom est resté à un ancien étang, s'appelle en Champagne. Les cantons où se rencontrent des ruines romaines se nomment presque toujours, Champagne, Champagnole, Champagnolot. Les ruines romaines voisines de Pirey, s'appellent Champagnole; Champagnolot touche aux grandes ruines romaines de Dammartin. Le sol a restitué en différentes fois des tuileaux à rebords, dans cette ville.
Les voies de communication qui la traversaient devaient nécessairement donner de l'importance à ce lieu. Un rameau de la voie des Alpes grecques à Poligny et à la ville d'Antre, par Boujailles et Charancy, passait à Champagnole; le P. Tavernier, gardien des capucins, en remarqua les vestiges près de Boujailles et de Chalamont. Plusieurs antiquaires l'ont suivi et fait fouiller dans la direction de Mournans. On en retrouve les pavés entre un ruisseau et la montagne de Charancy; là, cette ligne est appelée le Chemin des Romains. Le sol de ce dernier village a rendu à la lumière nombre de monnaies romaines. La villa de Saint-Germain-en-Montagne en est peu éloignée. On y a découvert des médailles s'arrêtant à Trajan-Dèce, qui périt sous les traits des Barbares, au mois de novembre 251. Cette route passait au pied de Montrivel, aboutissait à Champagnole, et se prolongeait jusqu'au Pont-du-Navoy, où elle se bifurquait. Elle était défendue par une vigie ou station fortifiée, élevée sur le plateau de la montagne de Montrivel. Ce retranchement ne différait d'un camp proprement dit, que par une moindre étendue. Il se composait d'une enceinte, avec un valium ou rempart en pierre et d'un fossé extérieur. M. Ed. Clerc a remarqué que parmi nos camps, les derniers qui furent occupés sous l'empire romain, ont renfermé des habitations, dans lesquelles les malheureux habitants cherchaient un refuge, dans ces temps horribles. On rencontre effectivement sur le plateau de Montrivel, une multitude de tuileaux romains et des restes de fortifications encore remarquables par un ciment presque indestructible. On arrivait, au camp romain, par le Chemin des Arches, qui partait du village d'Ardon, et gravissait un des trois flancs de la montagne. On sait qu'à la ville d'Antre, un aqueduc portait le nom de Pont des Arches. L'arche, d'après l'étymologie de son nom, est formé de arx, citadelle. A Saint-Cernin, dans le département de la Corrèze, on trouva, en 1849, les débris d'un hypocauste et d'autres ruines à côté de l'Arche. Cette arche s'élève au sommet d'un rocher naturellement escarpé , sur le passage d'une voie romaine, à peu de distance d'une ancienne ville gauloise (Briva ou Brive). Une autre route se dirigeait de Champagnole à Poligny par Ardon et Chamole. Elle figure dans les titres sous le nom de vie poire ou ancien chemin de Poligny. M. de Caumont fait remarquer, dans son cours d'antiquités, qu'on donne souvent aux routes romaines le nom de Perré. Poire dérive évidemment de ce mot. Le pont-de-I'Epée, jeté sur l'Ain, est aussi d'origine romaine, Il servait à la continuation de la route de Pontarlier au Pont-du-Navoy. Une place d'armes entourée de fossés existait dans le lieu appelé la Culée de Boyse. il est probable que lorsqu'au milieu du IIIè siècle, les Barbares brûlèrent toutes nos villes, ils pénétrèrent à Champagnole et le détruisirent. Un canton du territoire s'appelle Champ-Sarrasin. Si cette dénomination n'indique pas un établissement antique , elle ferait supposer que les hordes d'Ab-eI-Rhaman traversèrent cette partie de nos montagnes. Ces farouches soldats marchaient le fer et la flamme à la main.
Rapproché du mont Rivel, de Charancy, de Saint-Germain, tous lieux féconds en antiquités romaines, Sapois a des titres aussi à faire valoir pour prouver son ancienneté. Son sol a restitué une multitude de monnaies (depuis les médailles de la colonie de Nîmes jusqu'à celles du règne de Constance).
Vu du haut du mont Rivel, Vannoz présente un aspect agréable et semble mériter le nom de Gwenet ou Wennet (le Beau), que les Celtes lui ont donné. Par une coïncidence assez remarquable, ce village occupe, entre une montagne et une rivière, une position identique à celle de Vannes, dans le Morbihan, l'un des principaux sieges du culte druidique en Bretagne. La partie de son territoire la plus rapprochée de Saint-Germain est couverte d'antiquités romaines. On en trouve aussi dans le quartier voisin du pied du mont Rivel. Une voie romaine, dont une branche tirait à Champagnole et l'autre à Pontarlier, par Saint-Germain, appelée la vie-Poire ou le Vieux Chemin de Poligny, passait sur le pont de Gratte-Roche. On a découvert dans le voisinage de ce pont des médailles consulaires et impériales en argent, une monnaie du triumvirat et une autre de Géta.
Saint-Germain est bâti sur les ruines d'une ville romaine importante, ruinée par les Barbares dans la seconde moitié du IIIè siècle. Cette ville avait succédé elle-même à une bourgade celtique, bâtie au pied de l'Oppida qui couronnait le sommet du mont Rivel. On s'accorde généralement à considérer comme un monument du culte druidique le bloc de pierre appelé la Pierre-Lite, qu'on rencontre dans le bois de la Fresse, entre Saint-Germain et Mournans. Cette pierre, dont il ne reste qu'un tronçon de 2 mètres 50 de hauteur, était aussi remarquable par ses dimensions et sa forme que par les légendes dont elle était l'objet. Elle est exactement semblable aux menhirs de la Bretagne. Les débris épars de la ville gallo-romaine qui s'appelait Placentia, si l'on en croit une vieille tradition, couvrent un terrain d'une grande étendue. On a trouvé sur son emplacement une Minerve en bronze un vase d'airain, des sépultures, des médailles qui commencent au type de la colonie de Nîmes, et se terminent à Trajan-Dèce, des fondations d'édifices, une multitude de tuileaux à rebords, de la poterie, une tête de statuette de femme, en pierre de composition, des voûtes et une habitation enfouie, un autel en granit feldspatique des montagnes de l'Auvergne, et une meule des terrains volcaniques du même pays, appelée pierre de Valvic, la moitié d'une flûte tibicinienne en ivoire, de grandes épingles aussi en ivoire, destinées à la coiffure des cheveux, un instrument de chirurgie, qui servait à la pratique des saignées, des débris d'armilles, un fragment de globe, en verre doré, des tests de vases en verre, sur l'un desquels on lisait Campaniodius, un reste d'urne en bois avec reliefs une anse en bronze, parfaitement ciselée et une foule de menus objets antiques. M. le docteur Germain, de Salins, a recueilli beaucoup de ces précieux restes. Les points qui restituent le plus de débris, se trouvent dans la plaine de Sérilly, entre le village actuel et le pont de Grateroche et aux Hermettes. Ce territoire était du reste traversé par une voie romaine, qui descendait de Pontarlier à Champagnole. La ville de Placentia, comme la plupart des villes romaines, se divisait en deux parties : la ville haute occupait le sommet du Montrivel et la ville basse s'étendait dans la plaine au pied de cette montagne. On perd les traces de son existence depuis sa ruine jusqu'au commencement du XIIè siècle.
Sur la route qui conduit de Champagnole à Pontarlier, un des chemins les plus pittoresques du Jura, à une extrémité d'un plateau horizontal qui se confond avec la vallée de l'Anguillon, est situé le village d'Equevillon. Derrière lui, le rocher de Montrivel élève l'un sur l'autre ses étages de colonnes prismatiques et son cône qui les couronne (…). A l'est , la forêt de la Fresse, peuplée de noirs sapins et d'arbres d'essences variées, développe ses majestueux ombrages. A l'ouest, et au-delà d'une ligne de collines qui suivent tous les caprices du cours de l'Ain, s'étend une plaine immense se perdant dans l'horizon. Au pied méridional de la montagne, s'étale la coquette ville de Champagnole, qui ne se lasse point de s'admirer dans le cristal des eaux de la rivière qui caresse ses pieds. Equevillon était le séjour favori des druides, qui célébraient leurs sombres mystères dans le bois de la Fresse. Dès l'époque celtique, un oppida existait sur le fameux rocher de Montrivel. Ainsi que nous l'avons déjà fait remarquer en écrivant l'histoire de la Châtelaine, les prêtres gaulois évitaient d'habiter dans les villes et les bourgs; ils se tenaient dans les vallons les plus rapprochés des centres d'habitation et autant que possible près des forêts. En 1839, on a trouvé à Equevillon une foule d'objets d'antiquité appartenant à la civilisation celtique, et notamment une hachette à rebords en bronze, et deux serpes que les archéologues regardent comme des instruments de sacrifice. La pierre lite dans le bois de la Fresse, la grosse pierre, sont des menhirs très reconnaissables. Les Romains avaient un double motif pour établir un camp sur le sommet du Mont-Rivel: d'une part, ils pouvaient surveiller les druides, et de l'autre, défendre le passage d'une voie romaine importante, par laquelle les Germains pouvaient pénétrer dans le coeur de la Séquanie. Ce camp ne tarda pas à donner naissance à deux villes. L'une d'elles occupait la place du village de Saint-Germain, qui, suivant une tradition constante, portait le nom de Placentia, et l'autre, moins importante, était celle de Champagnole. Cette dernière formait le quartier appelé le Bourg-Dessous. Le cône de Mont-Rivel est couvert de débris de constructions romaines et de tuileaux à rebords. Le camp qui en occupait la surface fut probablement fondé par des vétérans de la colonie de Nîmes, ainsi que les médailles trouvées à Saint-Germain paraissent l'indiquer, et fut remplacé au XIIè siècle par un bourg féodal.
Charency, vicus Charencus était situé sur le bord d'une voie romaine, qui, des Alpes grecques, conduisait à Poligny et à la ville d'Antre. Il n'est donc point étonnant que ce village offre de nombreux témoignages d'antiquité. On retrouve des traces de cette route entre un ruisseau et la montagne de Charency; là, cette ligne est appelée le chemin des Romains. Au sud-est du territoire, sur le revers oriental d'un côteau, existe un petit plateau d'une surface d'environ 30 ares, sur lequel on reconnaît encore les vestiges d'une station fortifiée établie pour la défense de la route. Cette vigie ne différait d'un camp proprement dit que par sa moindre étendue. Au sud-ouest du même territoire, sont trois tumulus romains en pierre, placés en ligne droite. Deux sont sur Charency et un sur Lent. Le sol a restitué à différentes époques une multitude de monnaies romaines. Le premier titre qui fasse mention de ce lieu, d'après M. Béchet, est de l'an 1120.
Au nord-ouest de Syam est une colline assez élevée, appelée la montagne de Roussillon, que couronnent deux gros blocs de rocher qui semblent être tombés du ciel et prêts à se précipiter sur le village pour l'écraser. On les nomme Pierres ou Château des Sarrazins, et elles ont été certainement, comme les Trois Commères de Château-Vilain, l'objet d'un culte dans les temps druidiques. On remarque avec étonnement, derrière ces blocs, des vestiges de retranchements et des traces de fossés qui indiquent des travaux militaires exécutés à une époque très reculée.
Tout concourt à démontrer l'antiquité de Sirod: les superstitions qui s'attachent aux Trois-Commères, aiguilles de rocher de forme bizarre qu'on remarque en face du village, à l'ouest, et dans lesquelles il est facile de reconnaître les derniers vestiges du culte des pierres; la croyance à la fée Mélusine; I'omnipotence attribuée aux descendants de saint Hubert pour guérir de la rage; la dédicace de l'église à Saint Etienne, premier martyr, et sa mention dans un diplôme du roi Lothaire, de l'an 852 ou 855, et enfin le voisinage du chemin des Romains qui descendait par Charency au Pont-du-Navoy.
Suspendu à une grande hauteur sur les flancs d'une montagne au pied de laquelle gronde l'Ain, Lent domine les vallées de Sirod et de Mièges et occupe une position très agréable. La route qui met en communication Champagnole et Nozeroy, est ouverte à Lent entre deux hauts rochers coupés à pic, appelés l'Entre-Porte. Si ce passage est l'œuvre des hommes, c'est un véritable prodige de l'art, et il a fallu de longues années, d'un travail presque cyclopéen pour l'exécuter. En le traversant, on ne sait lequel admirer le plus, ou de l'aspect grandiose de la nature jurassienne, ou de la force de volonté qui aurait triomphé de tant d'obstacles. La Montagne des Feux tire sa dénomination des feux qu'un y allumait jadis au solstice d'été, eu l'honneur du soleil et rappelle un souvenir des moeurs celtiques. Il existe en France plusieurs villages qui portent ou ont porté le nom de Lent ou de Laits, et partout, on a trouvé sur leur emplacement des débris romains. Les fouilles qui s'exécutent en ce moment dans le département de Saône-et-Loire à Lans, restituent une multitude de précieux débris d'antiquités.
Dans l'article que nous avons publié sur le village des Chalesmes, nous avons signalé l'existence d'une voie antique qui traversait le territoire de la Perrena. Elle y est appelée la Vie. Il serait possible qu'un fortin eût existé dans le lieu dit Sur les Murs, car il y en avait un aux Chalêmes sur l'éminence du Châtelet. Un bloc de rocher détaché de la montagne de la Haute-Joux, et complètement isolé, s'élève à 925 m de hauteur et est connu dans le pays sous le nom de Château-Sarrazin ou Pierre du Cuard. Près de sa base, jaillit la source du bief Marandier. Nous n'hésitons pas à croire que cette pierre, antique menhir formé par la nature, fut honorée comme une divinité. A la Saint-Jean d'été, les jeunes gens de la Perrena et de Montliboz allument un feu de joie sur ce monument druidique et en escaladent l'aiguille. Il est certain que le val de Sirod a été peuplé dès les temps les plus reculés; cependant le premier titre qui mentionne la Perrena ou la Perigne est une donation des dîmes qui s'y percevaient, faite en 1283 par Gaucher II de Commercy, sire de Château-Vilain à l'abbaye de Saint-Claude.
Nous avons eu déjà l'occasion de prouver que les villages disséminés dans le val de Mièges, ne le cédaient point en antiquité à ceux répandus dans la plaine. Ce serait donc une grande erreur de croire que les importantes concessions faites par les seigneurs de Nozeroy dans leurs forêts de la Haute-Joux, en 1372, ont attiré des colons sur un sol vierge. Le chemin gaulois ou gallo-romain, tracé dans nos hautes montagnes et qui communiquait de Saint-Claude à Salins par les Planches, villa de Pontibus, la Perrena, traversait aussi les Chalesmes. Il porte aujourd'hui le nom de Vie du Charbonnier. Au bord de cette route, on trouve un canton appelé les Chazeaux. Cette dénomination indique évidemment des habitations détruites depuis plusieurs siècles. Nous avons lieu de croire que le village des Chalêmes est le même que celui désigné sous le nom de villa Calamœ, dans une donation faite en 1283, par Gaucher de Commercy, sire de Château-Vilain et de Montrivel, à l'abbé de Saint-Claude.
On a tellement dépouillé de tout prestige historique cette région du Haut-Jura, qui s'étend comme un boulevard à la limite orientale de notre département, que nous osons à peine y rechercher la trace des générations antiques. Avant le XIè siècle, dit M. Ed. Clerc, cette contrée sauvage n'était que forêts, précipices, rochers, broussailles inabordables, pays inconnus, à l'exception des hauteurs et des plaines voisines de l'Ain, d'une partie du val de Miéges et des parties voisines des abbayes de Saint-Claude, de Saint-Lupicin et de Saint-Romain-de-Roche, qui commencèrent à se peupler au Vè siècle. Nous sommes disposé à douter que ce tableau tracé par un de nos meilleurs historiens modernes soit parfaitement exact. Nous concevrions difficilement que 58 ans avant Jésus-Christ, près de quatre cent mille habitants eussent pu quitter les monts helvétiques pour aller chercher d'autres demeures sur les rivages de la mer aquitanique, et que nos montagnes, moins âpres que celles de la Suisse, eussent été inhabitées à cette époque. Est-il une partie de notre territoire où les usages du paganisme, les traditions druidiques, les dénominations celtiques soient plus vivaces que dans le Haut-Jura? Pourquoi Auguste envoya-t-il une colonie fonder la ville d'Antre? N'était-ce point pour étouffer le culte druidique répandu dans les montagnes? N'a-t-on pas acquis la certitude que la plupart de nos lacs étaient consacrés et recevaient les hommages des Séquanais? Supposer le Haut-Jura inhabité pendant l'époque romaine, serait nier l'évidence. Les ruines trouvées à Charency, à Équevillon, à Saint-Germain, à Montrivel, à Molinges et dans beaucoup d'autres lieux, la médaille d'or à l'effigie d'Honorius, découverte il y a quelques mois à Ardon, viennent chaque jour attester la présence du peuple-roi dans les lieux qu'on nous peignait comme inabordables et inconnus. M. Ed. Clerc a signalé déjà la voie romaine qui se dirigeait des Alpes grecques à Poligny et au lac d'Antre, par Charency et le Pont-du-Navoy, ainsi que celle qui venant de Genève passait par Saint-Claude, Etables et Arinthod. Nous croyons qu'une voie, qui pourrait bien remonter jusqu'à l'époque celtique, longeait le pied du Jura et relia plus tard Saint-Claude à Salins par le val du Grandvaux et celui de Sirod, passant par Bief-des-Maisons.
Le val de Miéges a été habité dès la période gauloise. Deux voies antiques le traversaient. L'une, venant de Pontarlier, descendait à la Combe d'Ain ; l'autre longeait le Haut-Jura entre les Usiers et la ville de Mauriana. Des monuments celtiques en grand nombre et des souvenirs druidiques se retrouvent dans ces contrées.
Malgré l'absence complète de renseignements sur les antiquités de ce village, il y a lieu de croire que pendant la période celtique et sous la domination romaine, son territoire était en partie défriché, et que de nombreuses habitations se groupaient sur les bords de Layme. Les traditions, les croyances, populaires qui se perpétuent dans cette contrée, viennent à l'appui de nos conjectures. Ce lieu échappa, et peut-être grâce à son peu d'importance, aux dévastations des barbares; son église est mentionnée sous le nom de Protonanum ou Krotonacum, dans le diplôme de l'empereur Lothaire, de l'an 855, confirmatif des possessions de l'abbaye de St-Oyan-de-Joux. Le territoire de la Chaux faisait partie des biens donnés en 523 par le roi Sigismond, pour la dotation de l'abbaye d'Agaune, et se trouvait implicitement compris dans l'inféodation de la seigneurie de Salins, consentie en 941, par ce monastère, en faveur d'Albéric de Narbonne. Les relations établies au VIe siècle, entre les religieux d'Agaune et ceux de St-Oyan, avaient rendu ces derniers propriétaires deséglises de Miéges, de la Chaux et autres, situées dans le voisinage de Salins.
Le territoire des Planches offre des sujets d'étude très intéressants pour l'observateur géologue. Les montagnes semblent y avoir été jetées avec fracas et dans le plus grand désordre par le Tout-Puissant, au moment de sa suprême colère, et lorsqu'il s'était promis d'anéantir le monde. Elles sont déchirées dans tous les sens: dans les unes, les assises de pierre sont verticales; dans d'autres, elles sont horizontales ou obliques; il y a même des rochers sans assises. Quelques monts ont leurs flancs nus et coupés à pic; d'autres sont inclinés et leurs pentes sont couvertes de forêts où la feuille jaunie du hêtre contraste avec le vert foncé du sapin. Dans la plus profonde anfractuosité de ces rocs, court la colère de Sène. Pendant les pluies, les flancs des montagnes sont sillonnés par un nombre infini de torrents qui jaillissent à grand bruit de chaque roche et s'élancent dans cette rivière en tombant de cascades en cascades ; on croirait voir les gaves des Pyrénées. Le village des Planches est bâti sur les deux rives de la Sène. Son nom, Villa de Pontibus, se rencontre pour la première fois dans une charte de l'an 1281, par laquelle Gaucher II de Commercy donna à l'abbaye de Saint-Claude les dîmes qu'il percevait dans différents lieux de la seigneurie de Château-Vilain. Il est certain cependant que cette contrée était habitée longtemps avant cette époque, car l'empereur Lothaire recensa déjà, de 852 à 855, l'église de Sirod, dont dépendaient les Planches, parmi les possessions de ce même monastère. Montliboz et le Châtelet sont désignés implicitement dans le même diplôme sous le titre générique de Protonacum ou la Chaux-des-Crotenay.
Les hautes montagnes du Jura n'ont ni la hauteur ni l'aspect imposant des Alpes et des Pyrénées; elles n'inspirent ni la même terreur, ni la même admiration; mais les sites y sont plus variés, plus doux, et s'ils parlent moins à l'esprit, ils émeuvent plus le coeur. Le vallon qu'arrose la Sène et au fond duquel sont disséminés les deux Foncine, est fermé à l'est par le Mont-Noir et à l'ouest par le mont Bayard. Prenant sa source au pied d'un rocher escarpé, au nord de Foncine-le-Haut, la Sène s'élance dans la direction du sud, en tombant de cascades en cascades. De nombreux torrents jaillissent à grand bruit du flanc des montagnes et se précipitent dans cette rivière. Foncine-le-Haut, Foncine-le-Bas et les Planches, dont le vaste territoire, d'une circonférence de sept lieues, ne forma qu'une seule communauté jusqu'en 1790, et on pourrait presque dire jusqu'en 1830, puisque les partages n'eurent définitivement lieu qu'à cette époque, peuvent être considérés comme représentant, avec ses caractères particuliers, le littoral de la Suisse et les éléments divers qui sont venus s'y heurter, puis s'y confondre, la race indigène, les Gallo-Romains, les Bourguignons et les Alamans. On trouve dans les superstitions, les coutumes et les pratiques religieuses de cette contrée, des réminiscences du culte des Celtes pour les pierres et les fontaines. On a attribué longtemps à l'eau de la source de la Sène des vertus miraculeuses pour la guérison de certaines maladies et surtout de celles des yeux. Cette croyance n'eût pas existé, que le mot sen, qui en langue celtique signifiait saint, suffirait pour faire reconnaître que cette source était sacrée et recevait les hommages de la population. Le nom de Sène rappelle aussi le souvenir des prêtresses druidiques, ces fées séquanaises qui prédisaient l'avenir et possédaient l'art de guérir les maladies les plus cruelles. Le cheval blanc, que l'on voit paître aux environs de la source même, ou galoper légèrement à la cime de la montagne qui la domine, près de la grange de la Doye, est une tradition qui appartient aux peuples primitifs de la Gaule. On reconnaît les traces de l'alliance des pratiques religieuses du Fonssenier aux superstitions druidiques, dans les menhirs couronnés de croix, dans les grands feux de nuit, dont le soleil a eu les honneurs avant saint Jean, dans les fêtes de Noël, où le cri de Failles, Failles, se fait entendre, comme celui d'Egui-na-né à la fête gauloise de l'Eguinat, et dans l'aumône publique faite le premier jour de l'an, près du pont de la Cheverie. Sur la rive droite de la Sène, apparaît isolée, au milieu du pré appelé la Cheverie, une pierre brute d'une grande hauteur, percée à son sommet de deux trous, qui furent ouverts pour fixer une croix. Cette pierre est un peulven, monument druidique très reconnaissable. Le pâturage de la Thieulette, d'où la vue s'étend sur le Grandvaux, Champagnole et Mirebel, porte un nom qui indiquerait la présence, suivant l'opinion de M. D. Monnier, d'un dolmen ou d'une pierre levée gauloise. La tradition peuple le territoire entier des deux Foncine, de sorciers, de loups-garoux, de luttons ou follets, semblables aux Poulpiquets ou Gourils de la Bretagne, de fées, en un mot, de tous ces génies plus ou moins malfaisants , qui étaient la terreur du peuple des campagnes. C'était surtout près de la roche à Jean Jouari, à Saint-Egon, à la Combette de Brayon, sur les Montceaux, près du lac de la Grange-à-la-Dame, sur le mont à la Chèvre, que les sorciers se réunissaient pour faire leurs rondes infernales. On voyait aussi de séduisantes dames blanches sur les bords de la Sène, où elles s'efforçaient d'attirer et de noyer les crédules passants. Le costume des hommes et des femmes de Foncine imitait, il y a peu d'années encore, avec une exactitude singulière, celui des anciens Celtes, tel que Strabon l'a décrit. Si l'on se rappelle le flot d'invasions qui coula pendant plusieurs siècles le long des pentes du Jura, on s'étonnera, non pas qu'il ne reste que très peu de monuments de l'époque romaine dans nos hautes montagnes, mais qu'il en existe encore quelques vestiges. Nous avons déjà signalé les ruines romaines de Charency, de Montrivel , de Champagnole, de Saint-Germain et la voie qui les traversait. Nous trouvons à Foncine- le-Haut un hameau appelé les Ruines, ruinœ, qui portait déjà ce nom au XIVè siècle; un autre, appelé la Citadelle, quoiqu'on n'y rencontre aucun reste de fortification féodale; des champs appelés le chazal, les chazeaux, casaliae, conservant encore l'empreinte d'habitations détruites. Nous sommes d'autant plus disposés à admettre que dans tous ces lieux ont existé des établissements gallo-romains, qu'on a trouvé des tuiles romaines jusqu'au sommet du Mont-Rixou. Des routes très anciennes, connues sous le nom de vies poires, traversaient Foncine; l'une se dirigeait sur Sirod, une autre sur Nozeroy et une troisième sur Jougne. Cette dernière est appelée en patois vie des Bouanet, ce qui signifie chemin des Bernois. On en reconnaît les ornières dans les pâturages. La vallée de Foncine, comme celle de Mièges, présenta de bonne heure le curieux spectacle de la lutte de la nouvelle société chrétienne contre les sectateurs obstinés du paganisme. Un oratoire fut élevé à Sirod, en l'honneur de saint Etienne, premier martyr. On peut, sans témérité, faire remonter l'érection de ce monument au IVè siècle, car, de toutes les églises bâties au moment de la conversion de l'empereur Constantin, la plupart sont dédiées à saint Etienne. Sigismond, roi de Bourgogne, dota vers l'an 523, l'abbaye d'Agaune, de terrains considérables qui formèrent plus tard la seigneurie de Salins. Le val de Mièges faisait partie de cette concession, et celui de Foncine y était implicitement compris. Par suite des rapports qui s'établirent au VIè siècle, entre ce monastère et celui de Condat, ce dernier devint propriétaire de l'église de Sirod.
Entre le Grandvaux, les baronnies de Château-Vilain, de Montrivel, de Montsaugeon, de Monnet et de Clairvaux, s'étend un vaste plateau presque circulaire, dont une chaîne de montagnes dessine les irréguliers contours. De vagues traditions mythologiques, d'antiques usages, des superstitions inspirées par le paganisme, laissent entrevoir le séjour des hommes dans cette contrée avant les temps historiques, mais la plus complète obscurité enveloppe l'origine des villages qui y sont répandus.
L'origine de Châtelneuf, comme bourg féodal, est parfaitement connue. Il s'agit de savoir si ce village existait avant l'acte d'association intervenu en 1285, entre l'abbaye de Balerne et Jean de Chalon-Arlay Ier. Nous penchons pour l'affirmative. Un climat du territoire porte le nom de Champ-du-Feu. Le lieu d'assemblée des druides et des eubages dans les forêts des Vosges et des Carnutes s'appelait aussi Champ-du-Feu ou Hochfeld. Lorsque les Romains se furent établis sur le Mont-Rivel, au-dessus de Champagnole, les prêtres gaulois se réfugièrent probablement dans les sombres forêts de Loulle et de Chatelneuf, et s'établirent autour des lacs du Fiogay, de Narlay et de Maclu, considérés comme sacrés. Leur présence dans ces lieux se trahit par les nombreuses croyances qui peuplent ces bois d'esprits, de sylphes et de chasseurs sauvages. Le nom de Chaseaux, que porte un vaste terrain, rappelle le souvenir d'habitations détruites celui de Grande-Vie, de Pérou, indique la trace d'anciens chemins qui venaient aboutir à la bourgade romaine de Champagnole. II est question de la Chaux-des-Crotenay, village voisin de Châtelneuf, sous la dénomination de Protonacum, au lieu de Crotonacum, dans un diplôme de l'empereur Lothaire Ier, de l'an 855 , en faveur de l'abbaye de Saint-Claude. M. D. Monnier a cru qu'il s'agissait dans ce titre de Crotenay; mais il s'est trompé. L'abbaye de Château-Chalon a de tout temps possédé l'église et les dîmes de Crotenay, tandis que celle de Saint-Claude, représentée par le prieuré d'Arbois, avait celle de la Chaux-des-Crotenay. Cette date de 855 prouve pour la haute antiquité de ce dernier lieu et des villages environnants. Du reste, une preuve tout-à-fait décisive en faveur de notre opinion, c'est le nom même de Châtelneuf, qui fait supposer un château plus ancien. Le château dont on voit encore les ruines, a été construit postérieurement. Celui qui le précéda occupait le sommet d'un roc escarpé, qui se trouve entouré de forêts à un kilomètre au sud du village. Son emplacement, appelé au Châtelet, a conservé quelques vestiges qui paraissent remonter à la période gallo-romaine.
Dans sa dissertation sur le culte des esprits dans la Séquanie, M. D. Monnier signale plusieurs traditions qui se sont conservées au Frasnois. On raconte qu'un village a été englouti à l'endroit même où s'est creusé le bassin du lac de Narlay. Une mendiante, probablement une fée, s'étant présentée à toutes les portes et n'ayant pu trouver un asile pour la nuit, si ce n'est sous le toit d'un pauvre vieillard, Dieu, pour la venger, noya le village entier et n'excepta que la maison hospitalière, située à l'extrémité. C'est autour de cette demeure patriarcale que se seraient groupées les familles qui ont successivement formé le second hameau de Narlay. A minuit de Noël, tous les ans, on entend au fond du lac, chanter le coq du village englouti. Une vieille femme, qui fréquente les bords sauvages de ce lac, qui se retire dans une grotte décorée de stalactites, près de la grange Bataillard, dont nul ne sait le nom, mais dont on dit des choses incroyables , a donné aux eaux du lac la propriété de blanchir le linge sans lessive et sans savon. Les monts majestueux qui dominent les lacs du Frasnois, de Maclus, de Narlay, de Bonlieu, ont aussi leur esprit. C'est un magnifique seigneur, botté, armé, casqué, traversant les airs sur un cheval blanc. On le voit quelquefois s'abattre dans la plaine sans la toucher et repartir comme un éclair. D'autres fois, c'est le cheval qu'on aperçoit, attaché par une bride au haut de la roche escarpée, tout en dehors, attendant que son maitre vienne l'enjamber pour recommencer ses courses aériennes. La combe aux Follets, au hameau de la Fromagerie, a aussi ses traditions, non moins singulières que les précédentes. Toutes ces croyances nous rappellent le génie des descendants de cette race de Kimris ou de Celtes, qui, des plateaux de l'Himalaya et du Thibet, se frayèrent, les armes à la main, une route nouvelle à travers l'Europe, et se répandirent dans les Gaules. La fondation du prieuré d'Ilay, an VIè siècle, par des disciples de saint Romain et de saint Lupicin, attira de nouveaux colons dans cette contrée et donna lieu à de nombreux défrichements.
La Chaux-du-Dombief était jadis une terre toute mythologique. On ne pouvait faire un pas sans y rencontrer quelque génie. Les uns voyaient un sylphe martial, botté, armé, casqué, chevauchant dans les airs sur un blanc palefroi, au-dessus des monts ombragés de noirs sapins, de Bonlieu, du Franois, de Maclu et de Narlay. Ils voyaient ce cavalier s'abattre dans la plaine sans la toucher et repartir comme un éclair. D'autres ont vu son coursier attaché par la bride au haut de la roche escarpée, tout en dehors, attendant avec impatience que son maitre vînt l'enjamber pour recommencer ses courses aériennes. Chaque soir on apercevait la vouivre, ce serpent de flamme, qui du haut du château de l'Aigle, venait se désaltérer dans le petit lac dont la nappe d'azur baignait le pied. Les voyageurs attardés ne passaient qu'en tremblant devant ces agaçantes demoiselles, qui folâtraient la nuit sur les bords des lacs et des ruisseaux, et les attiraient malgré eux dans des rondes infernales. Il faudrait ignorer la science des théogonies, pour ne pas reconnaître dans ces étranges visions une origine asiatique. Le lac d'Ilay, Islacus, au milieu duquel s'élevait, solitaire, le vieux moutier de Saint-Vincent, paraît tirer son nom de la déesse Isis. Les mystères de cette divinité, rétablis par l'empereur Auguste, étaient ceux de la galanterie, de l'amour et de la débauche. C'est dans ces fêtes impudiques qu'il faut chercher la source de ces traditions scandaleuses recueillies par Romain Joly, sur le compte des bénédictines d'llay, qui n'ont pas plus existé que les dames blanches des lacs. Les druides précédèrent les religieux dans cette contrée. Le nom de Champ-du-Feu, que porte un canton du territoire de la Chaux, indique la place d'une enceinte sacrée. Une preuve décisive à ajouterà l'existence antique de ce village, c'est qu'une voie partant de la bourgade celtique de Clairvaux traversait son territoire, dans le lieu dit à la Grande-Vie et donnait lieu à la perception d'un double péage au Pont- de-Layme et au Morillon.
Au milieu des pâturages de Menétrux, que recouvrait jadis une forêt, apparaît un autel druidique, de forme circulaire, exactement semblable à celui qui a été découvert à Montmorillon, dans l'Anjou. Son diamètre est de 2m et sa hauteur de 1m20. Cette pierre est environnée d'un prestige et d'un pouvoir mystérieux, par les superstitions populaires. La Pierre-Folle est un autre monument religieux des Celtes. Le vieux culte des druides a laissé des traces si profondes dans toute la contrée qui se trouve sur la rive gauche de l'Ain, qu'il n'est pas permis de douter que de nombreuses tribus gauloises y étaient établies. La consécration des lacs d'Ilay, de Narlay, du Frasnois, de Maclu, le Sylphe Capitaine de Bonlieu, la vouivre du château de l'Aigle, la dame blanche des grottes de Chambly, les génies bienfaisants ou malfaisants qui luttaient de puissance dans chaque ferme, appartiennent tous à la théogonie celtique. Les dénominations locales concourent à l'envi pour appuyer notre opinion. On trouve à Menétrux l'éminence de Beauregard, le bois de l'Herte, le champ de la Fortune. Nous avons déjà fait remarquer bien souvent que le nom de Beauregard indique presque partout le culte rendu au soleil. Hertha, Herte, était une puissante divinité chez les Kimris. C'était la Terre-mère, adorée chez les Suèves, suivant Tacite. On donnait aussi quelquefois ce nom à Isis. Le champ de la Fortune était probablement le lieu où s'élevait le temple de Herte ou d'Isis. Trois anciens chemins traversaient le territoire de Menétrux: l'un s'appelait la vie Fourche, et conduisait de Chambly à Songeson; un autre la Grande vie, se dirigeait de Doucier à la Chaux-du-Dombief; le troisième la vie Blanche, dont un embranchement tirait à Chambly et un autre à Clairvaux. On prétend qu'au milieu du grand lac du val,était une île, sur laquelle était bâtie, comme dans les lacs d'llay et du Grandvaux, une abbaye d'hommes ou de femmes. Un sentier, qui part des bords de ce lac et monte sur la roche, s'appelle la Cueille aux Nonnes. Cueille, en vieux langage, signifie chemin très rapide. L'existence de ce vieux moutier aurait pu peut-être faire appeler monasteriolum, la place qu'occupe Menétrux.
Le vallon de Chambly est sans contredit l'un des sites les plus pittoresques de la Combe d'Ain. Le torrent de l'Hérisson le traverse dans toute sa longueur, en faisant des chutes successives et toujours croissantes. (…). Doucier est situé à l'extrémité occidentale de ce vallon, au pied de la chaîne de montagnes qui longent la rive gauche de l'Ain. Les maisons sont groupées, construites en pierres et couvertes en tuiles, laves ou bardeaux. Une voie romaine partant du pont de Navoy se dirigeait sur Clairvaux, en passant par Doucier, dans la contrée dite à la Pérouse, à la Vie, ou au grand chemin de Clairvaux. De nombreuses sépultures bordent les deux côtés de cette route, et se rattachent à la grande bataille livrée dans la Combe d'Ain, par les Gallo-Romains, contre les peuplades du Nord. Les premiers colons du vallon de Chambly furent probablement attirés par les religieux d'llay, au VIè siècle.
Le vallon de Chalain offre un aspect pittoresque que la plume ne saurait reproduire. (…). Les traditions locales s'accordent à faire considérer ces lieux comme une terre druidique. En effet, ces aspects agrestes et romantiques, devaient être fort convenables aux cérémonies du culte austère des Gaulois. On a trouvé à Fontenu une hache en bronze, qui a pu être employée aux sacrifices, et sur les rives du lac, des haches celtiques en pierre de jade. La voie romaine de Besançon à Poligny et à la ville d'Antre, passait au Pont-du-Navoy, et longeait le lac de Chalain, pour se diriger sur Clairvaux. M. Ed. Clerc a reconnu près du lac, un retranchement militaire et 43 tumuli disposés comme une couronne funéraire. Ces monuments se rapportent à une grande bataille livrée dans la Combe d'Ain, entre les Gallo- Romains et les hordes germaniques. Les premiers titres qui mentionnent Fontenu, ne datent toutefois que du XIIe siècle
Crotenay est sans contredit l'un des plus anciens villages de notre département; il existait avant la conquête des Gaules par Jules-César, et son souvenir se mêle à celui des grands évènements qui signalèrent les invasions des Barbares dans la Séquanie. La voie gauloise de Salinsà Arinthod et à Isernore le traversait. Un autre chemin très ancien, appelé le chemin de Vermillières, conduisait à Château-Chalon. En 1810, dans la contrée dite sur la Croix, on trouva une pièce en or, sur l'une des faces de laquelle on lisait le mot vindex. Elle fut acquise, moyennant 30 francs, par M. Romand, alors garde-général à Champagnole. De 1830 à 1842, on a mis au jour, dans un climat dit à la Croix des Fourneaux, douze cercueils en pierres, couverts de laves; dans l'un était une épée et une boucle de manteau. On a découvert un amas d'ossements dans la contrée dite au Tombeau. Le champ de bataille de la Combe-d'Ain, dont nous avons déjà parlé plusieurs fois, s'étendait jusqu'à ce village. Les tumuli qu'on y rencontre l'attestent suffisamment. Les traditions qui se perpétuent dans la contrée, se rapportent toutes à des croyances druidiques. Crotenay n'est ni le Crotonacum mentionné dans le diplôme de l'empereur Lothaire de l'an 855, en faveur de l'abbaye de St.-Claude, ni le Cortona qui figure dans les bulles et les diplômes de l'abbaye de Baume, ainsi qu'on l'a écrit quelquefois, mais bien le Crotonacum, dont la possession de l'église fut confirmée à l'abbaye de Château- Chalon, par le pape Adrien IV, le 20 mai 1154, et par l'empereur Frédéric Barberousse, le 19 septembre 1161.
Dans la partie la plus riante de la vallée qu'arrose l'Ain, se dresse un pont en pierre hardiment jeté sur la rivière. A l'entrée de ce pont, se groupe une modeste bourgade dont on ne soupçonnerait point l'antique importance, si les châteaux de Monnet, de Montsaugeon, de Mirebel et de Châtillon, qui formaient autour de sa tête un cordon de citadelles, n'avaient pas laissé de ruines pour l'attester. Ce village, qui portait le nom de Navoy, parce qu'une barque y servait jadis au passage de l'Ain, était un des principaux centres autour desquels rayonnaient les voies romaines de la Séquanie. Là, passait la route de Pontarlier et de Champagnole à Lons-le-Saunier. Depuis le célèbre chêne à la Vierge, dans le tronc duquel avait été pratiquée une niche décorée d'une madone pour détruire un culte païen, ce chemin gravissait la côte de l'Heute et passait près de l'église de Mirebel. Sa direction est encore marquée sur le rocher par les empreintes que les roues des chars y ont laissées. Une seconde voie, venant de Poligny et appelée aujourd'hui la vieille route de Poligny, traversait le village et conduisait à la ville d'Antre et à Genève par deux chemins différents longeant la rive gauche et la rive droite de l'Ain. Ces deux chemins se réunissaient près du pont pour se prolonger sur Salins par Crotenay et Montrond. Par sa position, le village du Pont-du-Navoy devait être dans les temps anciens un lieu d'étape considérable. Ruiné par les invasions germaniques sans doute au temps où se livra cette sanglante bataille qui convertit la Combe d'Ain en un immense sépulcre, il ne put jamais se relever de ses désastres. Les titres du moyen-âge n'en font nulle mention avant le XIIIè siècle.
Au moyen-âge, Monnet se partageait en cinq quartiers parfaitement distincts Monnet-le-Château, Monnet-le-Bourg, Monnet-le-Vieux-Bourg, Monnet-la-Viile et Mont-sur-Monnet, Cette division était la même que celle que nous avons déjà signalée à Dramelay. Monnet-le-Château et Monnet-le-Bourg, faisant aujourd'hui partie de la commune de Montigny-sur-l'Ain, et Mont-sur-Monnet formant une commune à part, nous n'avons à nous occuper ici que de Monnet-la-Ville et de Monnet-le-Vieux-Bourg. Les deux rives de l'Ain ont été habitées dès les temps les plus reculés, nous en acquérons chaque jour de nouvelles preuves. La pierre taillée, dite la Pierre qui vire, dont l'aiguille apparaît sur la pointe d'un roc de la côte de l'Heute, le chêne à la vierge, qu'on vénérait au pied de cette montagne, les haches en pierre de jade et les monnaies au type grec, qu'on rencontre dans la plaine de Monnet, sont des restes évidents de la civilisation celtique. Lorsque les Romains occupèrent la Séquanie, le passage de la rivière d'Ain au Pont-du-Navoy, les nombreuses routes qui y aboutissaient, étaient des points trop importants à garder, pour qu'ils eussent négligé de les fortifier. Les châteaux-forts de Mirebel et de Monnet furent construits en face l'un de l'autre, sur les deux bords de la rivière, comme de puissantes sentinelles. Le sol de Monnet est semé de monnaies cousulaires et impériales, aux types de Néron, Galba, Domitien, Trajan, Antonin, Marc-Aurèle, Commode, Dioclétien et de médailles du Bas-Empire. M. le curé Petitjean en a formé une précieuse collection. Le combat sanglant qui se livra à l'époque des dernières invasions germaniques dans la Combe-d'Ain, parait avoir eu pour théâtre principal la plaine de la Bataille et la plaine de Millerie à Monnet-la-Ville. Le vaste tumulus connu sous le nom de tertre des Squelettes et ceux de moindre dimension qui l'environnent, les plaques de baudriers, les fers de lances qui jonchent toute cette contrée annoncent une lutte atroce, un effroyable carnage. Le fortin et les retranchements élevés entre le pont-du-Navoy et Monnet, ne purent opposer qu'une résistance impuissante. La voie romaine qui descendait par Charency et Champagnole à Orgelet, Mauriana et la ville d'Antre, passait à la Maison-du-Bois, à Monnet-la-Ville, à Montigny, Marigny et Clairvaux, pour s'engager ensuite vers Estival dans la gorge de Giron. Chevalier en a reconnu des traces bien conservées.
Après avoir coulé du nord au sud, la rivière d'Ain se détourne brusquement entre Crotenay et le Pont-du-Navoy pour prendre sa direction de l'est à l'ouest. Près du coude formé par cette déviation, s'élève une haute colline que couronnent les ruines du château de Monnet. Montigny est agréablement assis au pied de la montagne, dans la vallée. Le paysage qu'on découvre depuis les ruines du château, ressemble assez à celui dont on jouit depuis la côte de Mirebel. Dans notre article sur Monnet-la-Ville, nous avons signalé les nombreux vestiges d'antiquités qu'on rencontre dans cette contrée; nous n'y reviendrons pas. Dans le lieu dit à la Pérouse, on reconnaît les traces de la voie romaine qui, du Pont-du- Navoy, tirait à Marigny. Ses bords sont couverts de tumuli et d'ossements humains. Il en est de même dans les lieux appelés au Combat et aux Os. Ces tertres et ces débris humains se rattachent à la grande bataille livrée dans la Combe-d'Ain, du IVè au Vè siècles.
Qui croirait en voyant l'Ain se promenant nonchalamment dans les plaines de Marigny, que c'est ce même fleuve, qui bientôt va s'élancer dans les contrées les plus sauvages du Jura, grondant au fond des précipices, emportant les rochers, brisant avec furie tous les obstacles qui pourraient l'arrêter dans sa course? On supposerait volontiers qu'en passant devant le beau lac de Chalain, il a voulu rivaliser de grâce avec lui. Il coule à plein bord, en serpentant au milieu des riantes campagnes qui s'étendent depuis le Pont-du-Navoy jusqu'à Patornay. Cette contrée a été habitée depuis les temps les plus anciens. Les haches gauloises trouvées à Fontenu, les monnaies celtiques découvertes à Marigny, les traditions druidiques qui se perpétuent autour du lac, ne peuvent laisser aucun doute à ce sujet. Dans le lieu dit en Chaux, on reconnait les vestiges d'un chemin empierré, qui était une voie romaine tirant au Pont-du-Navoy, où elle jetait plusieurs embranchements. Cette route était protégée d'un côté par le castellum de Châtillon-sur-Courtine, et de l'autre par celui du châtelet à Marigny. La grande bataille qui se livra dans la Combe d'Ain, du IVè au Vè siècle eut pour principal théâtre, le long espace compris entre le tertre des squelettes à Monnet, et le castrum de Barésia. De Marigny à Châtillon le sol est parsemé de tertres funéraires, connus encore aujourd'hui sous le nom de Tumuli. Entre le Champ des Plaines et le Villard, il en est un qui a plus de 50 m de circonférence et 3 m de hauteur. Les plus petits ont 5 m de diamètre et 1 m 50 de haut. On trouve dans leur intérieur des ossements humains, des épées, des mors de chevaux, des fers de lances et des monnaies impériales. Les traces d'un camp, appelé le Camp des Sarrasins, se remarquent dans le climat dit en Louvria. On ne sait à quelle époque on doit faire remonter les monuments singuliers de castramétation qu'on trouve en grand nombre sur la crète des monts, comme à Barésia et dans les plaines qui bordent la rivière d'Ain. Tous ces ouvrages se ressemblent, quant à leur forme ronde ou ovale, et quant à leurs enceintes, dont les limites sont si étroites, qu'elles pourraient à peine contenir quelques centaines d'hommes. Ils sont circonscrits d'un parapet plus élevé vers l'endroit où l'accès est le plus facile, et des revêtements de terre, en forme de talus, couverts de gazon, en garantissent l'intérieur. La plupart des enceintes sont dans un tel état conservation, qu'on pourrait s'y fortifier encore. On en rencontre de semblables dans le Béarn et dans la Navarre, où on les nomme indifféremment Casteras, Castrats et Turons. Entre Marigny et Clairvaux, il y a un hameau appelé aussi Turon. Les avis des antiquaires sur l'origine de ces monuments sont très divers les uns en font des dolmens ou des tumulus celtiques; d'autres les attribuent aux Romains; d'autres enfin, aux Sarrasins. Nous les regardons comme des ouvrages gaulois, mais ils auront pu être utilisés par les Romains, lors des invasions barbares, et même par les Sarrasins, lorsqu'on les refoulait vers les montagnes. Au nombre des dénominations locales du territoire de Marigny, nous signalerons celles de Mont-Dieu (Mons Dei), de Croix- Dieu, de Charrière, et de Champ-de-la-Nez, c'est-à-dire de la barque.
Entre le lac de Châlain et le Villard, passait une voie gauloise ou gallo-romaine qui tendait de Salins à Orgelet par Crotenay, le Pont-du-Navoy, Montigny, le Villard et Patornay. A peu de distance était un retranchement qui fut probablement construit en prévision de la grande bataille qui se livra, au IVè ou au Vè siècle, dans la Combe-d'Ain. L'établissement de ce camp paraît avoir rendu la lutte terrible sur le territoire du Villard, car on y compte neuf vastes tumuli dans le champ du Prélot, nom derivé de praelium, combat, et dix-huit dans le communal du Chênet.
Cahiers de Géographie de Besançon, Numéro 8, Annales Littéraires de l'Université de Besançon - Volume 38 - Extrait - pp 10-11
A côté des terroirs de la vallée de l'Ain et des éléments de défense, c'est ce petit noeud de routes et de pistes, apparu sans doute dès l'époque romaine qui est à l'origine du développement de Champagnole. Les érudits locaux se sont ingéniés à démêler l'écheveau des chemins celtiques et des routes romaines des plateaux du Jura Central. Avouons-le, les résultats de cette enquête paraissent aujourd'hui encore, bien hypothétiques (4). A défaut de données archéologiques bien nettes, force a été pour repérer les routes antiques, de se baser surtout sur les lieux-dits. Ce n'est qu'à Charancy, entre Champagnole et Nozeroy, au débouché de la cluse d'Entreportes, que les archéologues du XIXe siècle paraissent avoir retrouvé un pavage antique le long de ce que les gens du pays appellent « le Chemin des Romains ». Il existe une « Vie d'Uzier » sur l'Ain, un peu en aval de Champagnole ; cette vie doit peut-être être mise en rapport avec le petit pays d'Usiers qui a donné son nom à deux villages du Nord-Ouest de Pontarlier. Mais c'est surtout le toponyme de « Vie Poire » que, sous des formes diverses, l'on retrouve dans la région de Champagnole. Ces lieux-dits, qui évoquent les multiples chemins « perrès » que Rome a légués à l'ancienne France, paraissent avant tout correspondre à la vieille route de Champagnole à Poligny. Ces quelques indications ne permettent guère de reconstituer les anciens réseaux. On sait néanmoins que la proximité de Salins a suscité dans toute la région, dès la protohistoire, le développement des « routes du sel ». Avec sans doute quelque hardiesse, la Carte archéologique au Jura fait se croiser, à l'époque romaine, sur l'emplacement de Champagnole une route hypothétique qui, de Poligny, aurait gagné Nyon (Noviodunum) sur le Léman, par le col de Saint-Cergue, et la route est-ouest qui, après s'être hissée sur les plateaux par la reculée de la Seule, se dirigeait vers Pontarlier et le Col de Jougne (5). Cette route, sans doute antérieure à l'époque romaine - elle est en effet jalonnée vers Nozeroy et Frasne par de nombreuses trouvailles du Bronze et du Halstatt (Premier Age du Fer) - rejoignait à Jougne une voie essentielle, celle qui reliait l'Italie à la Bretagne et à la Germanie par le Grand Saint-Bernard en passant par Aoste, Martigny, Besançon, Langres. Un peu à l'Ouest de Champagnole, enfin, une voie romaine nord-sud paraît avoir relié, par la Combe d'Ain, Poligny au site antique de Villards-d'Héria et au Bugey. Sans aucun doute, la région de Champagnole a été anciennement peuplée. C'est ce que prouve non seulement l'existence des cités dites lacustres, mais celle des milliers de tumulus halstattiens et même de la fin du Bronze repérés sur le plateau de Lons-le-Saunier et dans la Combe d'Ain. Le site même de Champagnole et ses environs ont fourni, notamment à la faveur des travaux récents de construction, de nombreux vestiges appartenant à divers niveaux archéologiques, de l'Age du Fer jusqu'au Bas-Empire (6). Mais il semble s'agir uniquement d'une occupation rurale. Aucune agglomération urbaine ne parait avoir existé à l'époque gallo-romaine sur le site de Champagnole. Mais, à deux kilomètres plus au Nord, le Mont Rivel a très vraisemblablement possédé un habitat antique. Ce beau site d'oppidum, au sommet plat (40 ha environ) et aux versants raides, aurait livré d'après Rousset « une multitude de tuileaux romains et des restes de fortifications remarquables par un ciment presque indestructible ». La primauté de ce haut lieu subsistera jusqu'au moyen-âge. Champagnole dépendra longtemps de la seigneurie de Montrivel qui avait son siège dans un château construit ou reconstruit au début du XIII siècle au sommet de la petite montagne.
(4) Nombreuses, mais souvent peu sûres sont les études des archéologues comtois du XIXème siècle. A côté des grands ouvrages d'E. CLERC et A. ROUSSET et des travaux de PIROUTET, il s'agit en général d'articles publiés dans l'Annuaire du Jura et dans les revues des sociétés savantes de Lons et de Poligny. Le Manuel d'Archéologie gallo-romaine de GRENIER, 2ème partie, pages 435-437 donne la liste de ces travaux. Un essai de synthèse est constitué par la brochure récente de Jean TYNE. “Champagnole, Cité antique” (voir Bibliographie). L'auteur (dont le pseudonyme dissimule un universitaire de Champagnole) cherche à montrer que la ville actuelle a été précédée à Taravan, un peu à l'Ouest, par un oppidum des Séquanes établi sur une terrasse entre l'Ain et Anguillon... Notre collègue, M. le Doyen LERAT, et M. J.-P. MILLOTTE, directeur de la circonscription préhistorique, ont bien voulu nous assister de leurs conseils.
(5) C. DAVILLE. Répertoire archéologique du département du Jura (période celtique, gallo-romaine et franque). Besançon, Imprimerie Jacques et Demontrond, 1954, 36 pages, une carte h. t. On consultera également J.-P. MILLOTTE. Le Peuplement du Haut-Jura aux âges des métaux, Revue Archéologique de l'Est. 1955, 105-123.
(6) M. BAPICOT, professeur au Collège de Champagnole, a bien voulu nous fournir des indications sur ces découvertes.